Prix Donald-Smiley 2017 | Prix de l'ACSP en relations internationales 2017 | Prix Jill-Vickers 2017 | Prix Vincent-Lemieux 2017
Livres retenus en sélection finale
John Borrows, Freedom and Indigenous Constitutionalism. UTP, 2016.
Politique canadienne, pensée politique et théorie juridique, telles sont les multiples facettes de cet ouvrage touchant et impressionnant qui propose une réflexion profonde sur les diverses approches utilisées par les traditions et pratiques autochtones pour répondre à l’une des questions fondamentales de la politique : comment vivre ensemble de manière à renforcer la liberté et le respect? Ce livre extraordinairement nuancé combine des méthodes philosophiques et juridiques classiques à des approches autochtones (récits, évolution des traditions, enseignements sur « le bien vivre dans ce monde », etc.) non seulement pour mettre en lumière comment les systèmes politiques et juridiques de l’hémisphère occidental font souvent fi des points de vue véhiculés par les traditions autochtones, mais aussi pour montrer comment ces traditions vivantes alimentent d’importantes pratiques et perspectives émancipatrices. Riche par son analyse, original par son approche méthodologique et théorique et intéressant par son ton souvent personnel, le livre de Borrows présente un éventail d’arguments convaincant¬¬s sur des questions précises, en plus de démontrer plus largement que la science politique et la pensée philosophique/juridique traditionnelles doivent entrer davantage en dialogue avec les traditions vivantes des autochtones en matière de pensée et de pratique.
Robert Schertzer, The Judicial Role in a Diverse Federation. UTP, 2016.
Cet ouvrage présente une analyse et une synthèse originales des questions importantes et persistantes au sujet de la nature contestée de la nationalité canadienne et du rôle de la Cour suprême dans l’élaboration du fédéralisme canadien. Au carrefour de la théorie politique, de la politique comparée et des études sur la multinationalité, le livre passe tout naturellement d’une analyse empirique de plus de 130 décisions de la Cour suprême au cours des trente dernières années à une réflexion normative sur le type de jurisprudence qui serait conforme aux principes d’équité et de légitimité dans un contexte plurinational. L’auteur démontre la nécessité de voir la fédération canadienne comme un processus et comme le résultat de négociations entre des points de vue divergents et de considérer que le rôle du judiciaire dans un tel contexte est d’encourager le dialogue et les échanges politiques entre ces points de vue plutôt que de déterminer quel point de vue devrait prévaloir. La jonction originale que fait Shertzer entre, d’une part, le fédéralisme et les études judiciaires et, d’autre part, la théorie politique et la politique comparée fera en sorte que les questions de plurinationalité continueront à animer l’étude des institutions politiques canadiennes.
Erin Tolley, Framed: Media and the Coverage of Race in Canadian Politics. UBC 2016.
Ce livre, qui constitue l’une des premières études systématiques sur la représentation de la race dans les médias qui traitent de politique canadienne, vient enfin combler un vide dans la science politique canadienne. Puisant dans un riche éventail de documents empiriques et reposant sur une structure extrêmement créative et rigoureuse faisant appel à de multiples méthodologies, cet ouvrage explique clairement, opérationnalise et teste systématiquement diverses hypothèses dérivées de théories critiques sur la race. Analysant l’influence profonde qu’exercent les hypothèses sous-jacentes sur la race et la diversité sur la couverture médiatique, le livre de Tolley démontre clairement (entre autres) que, lors d’élections, les candidats des minorités visibles se soient accorder une couverture moins importante et plus négative, ce qui affecte grandement leur viabilité politique (d’autant peut-être que l’effet est souvent subtil et donc fréquemment déconsidéré par les médias et le public). De par ses qualités du triple point de vue théorique, méthodologique et normatif (l’auteure discute aussi de certaines des questions de politique et de politiques soulevées par ses conclusions), voici un ouvrage qui deviendra un point de référence central pour les politologues qui se penchent sur la dynamique de la politique canadienne quant à la race.
Livres retenus en sélection finale
Juliet Johnson. 2016. Priests of Prosperity: How Central Bankers Transformed the Postcommunist World. Ithaca and London: Cornell University Press.
Par cette contribution majeure à l’étude de l’économie politique internationale et des transitions postcommunistes en Europe centrale et de l’Est, Juliet Johnson jette un nouvel éclairage sur la puissante influence d’un réseau transnational de banques centrales. Son analyse révèle comment ce réseau a converti une nouvelle génération de responsables de banques publiques aux idées occidentales dominantes au sujet du rôle indépendant des banques centrales dans la gestion des économies capitalistes. Les conclusions de Johnson émergent d’une riche tapisserie de données probantes, tirées notamment d’entrevues exhaustives menées dans dix-sept pays. L’analyse empirique méticuleuse de l’auteure s’inscrit dans un cadre conceptuel et théorique novateur. Situé dans le tumulte de transitions économiques et politiques majeures à partir d’économies planifiées et dans la crise financière mondiale récente, Priests of Prosperity saura intéresser un grand nombre de lecteurs dans de nombreuses disciplines.
Vincent Pouliot. 2016. International Pecking Orders: the Politics and Practice of Multilateral Diplomacy. Cambridge: Cambridge University Press.
Dans cette étude novatrice au cadre théorique fouillé, Vincent Pouliot remet en question deux hypothèses opposées courantes : que l’institution internationale du multilatéralisme a un effet égalisateur sur les prises de décisions collectives au sein d’appareils étatiques par ailleurs très différents et que les disparités de puissance matérielle préexistantes déterminent quelles voix étatiques ont de l’importance en diplomatie internationale. À la lumière d’entrevues exhaustives auprès de diplomates sur le terrain et des réflexions sociologiques d’Erving Goffman et de Pierre Bourdieu, International Pecking Orders révèle plutôt comment la pratique de la diplomatie est importante. Prenant comme exemples les Nations Unies et l’Organisation du Traité de l'Atlantique Nord, Pouliot montre que la diplomatie multilatérale requiert certaines formes de maîtrise pratique et qu’elle crée des inégalités sociales internationales. Fournissant une abondance de données et de fines observations, International Pecking Orders façonnera des débats futurs sur la nature des hiérarchies internationales dans la politique mondiale.
Norrin M. Ripsman. 2016. Peacemaking from Above, Peace From Below: Ending Conflict Between Regional Rivals. Ithaca and London: Cornell University Press.
Norrin M. Ripsman présente une analyse exhaustive captivante des défis qu’implique la pacification des conflits persistants et des facteurs déterminants d’une paix durable après des efforts diplomatiques fructueux. Combinant des outils théoriques issus de traditions normalement conflictuelles, comme le réalisme, le libéralisme et le constructivisme, cet ouvrage fournit des preuves convaincantes à l’appui de ses arguments centraux : l’établissement de la paix exige des initiatives partant du sommet, c’est-à-dire des États, et enracinées dans les réalités géopolitiques. Par contre, le maintien de la paix nécessite les bonnes conditions sociétales de bas en haut. Fondées sur une analyse qualitative de cas pertinents tirés, entre autres, de l’Europe et du Moyen-Orient au XXe siècle, les conclusions analytiques de Ripsman entraînent, en matière de politiques, des implications importantes quant au moment où les interventions externes dans les conflits régionaux devraient être orchestrées et sur la manière dont elles devraient l’être. Peacemaking from Above, Peace From Below aura un net impact sur les débats futurs chez les universitaires et les politiques au sujet de la paix et des conflits internationaux.
Communications au congrès 2016 retenues en sélection finale
Candace Johnson, “Transnational Reproductive Rights Regimes in the Context of Zika Virus”
Cet article porte sur les dimensions politiques du virus Zika en regard de la santé maternelle. Ce virus ne connaît pas de frontières, mais les politiques pour le contenir dépendent des frontières des États. Le fait de documenter le contexte historique, culturel et économique des politiques publiques propres à chaque État ne fait que miner l’apparente universalité de la grossesse en mettant de l’avant la nature localisée du corps de la femme enceinte et des expériences des femmes. D’une portée ambitieuse, cet article est riche sur le plan empirique et pointu sur le plan conceptuel. Ce texte engagé présente des arguments convaincants en faveur de directives en matière de politiques en santé maternelle provenant du Nord qui prennent en compte les sources d’infection biomédicales et sociales complexes et la santé maternelle en faisant passer les droits des femmes liés à la procréation avant la suppression des moustiques. L’auteure décrit en outre les étapes à franchir pour créer, par-delà les frontières, une solidarité entre les femmes en vue de promouvoir la mise en œuvre de telles politiques.
Joanna Everitt and Tracey Raney, “Winning as a Woman / Winning as a Lesbian: Voter Attitudes Towards Kathleen Wynne in the 2014 Ontario Election”
Se basant sur l’élection provinciale de 2014 en Ontario, Everitt et Raney analysent l’effet des questions reliées à l’orientation sexuelle et aux stéréotypes de genre sur les attitudes des électeurs envers les chefs de parti. Somme toute, cet article a le mérite d’être à la fois fouillé et concis, de comprendre une revue systématique de la littérature et de présenter de façon claire de solides conclusions. Les auteures révèlent que les stéréotypes liés à l’orientation sexuelle de la chef du Parti libéral Kathleen Wynne ont eu moins d’impact lors de l’élection que ce qu’on aurait pu prévoir. La crédibilité de Wynne sur les questions LGBT était supérieure, mais cette crédibilité n’a pas eu d’incidence sur le profil global de soutien (ou d’opposition) des électeurs à son endroit. Malgré la persistance d’un écart entre les sexes, les hommes et les femmes ont pris en compte (différemment) un vaste éventail d’éléments dans leur évaluation des chefs.
Jerald Sabin and Kyle Kirkup, “Competing Masculinities and Political Campaigns”
Cet article présente une recherche sur les masculinités en concurrence au cours de l’élection canadienne de 2015. Les auteurs ont ainsi analysé systématiquement le contenu de 756 des dix principaux journaux du Canada anglais. Ils ont trouvé que Harper et Mulcair se sont présentés (ou les équipes de leur campagne les ont présentés) comme l’incarnation de la masculinité « hégémonique » ou traditionnelle et c’est cette image que les journaux ont dûment reflétée. En revanche, Trudeau a représenté un équilibre entre la masculinité hégémonique et la masculinité subordonnée. Étant donné le succès remporté par Trudeau, les auteurs réfléchissent à l’évolution des notions de masculinité. L‘article remet en question notre façon habituelle de comprendre le genre et la sexualité en lien avec les politiciens, ce qui ne manquera pas de susciter d’autres recherches, notamment sur la possibilité d’une plus grande fluidité de la représentation du genre chez les hommes que chez les femmes.
Thèses retenues en sélection finale
Sule Bayrak, ‘Contextualizing Discretion: Micro-dynamics of Canada’s Refugee Determination System’, Université de Montréal
Dès la première ligne de l’introduction – où l’auteure décrit la rencontre entre un avocat et un revendicateur du statut de réfugié –, cette dissertation nous plonge au cœur de son sujet. À l’aide de méthodologies ethnographiques (incluant la théorie sur les fonctionnaires de première ligne ou la « Street Level Bureaucracy »), cette recherche explore le travail de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR) du Canada. Elle met en évidence que, même dans des environnements où des règles strictes gouvernent le pouvoir discrétionnaire des agents, il est en pratique difficile d’empêcher les agents d’interpréter leurs objectifs et leurs rôles de différentes manières. Résultat : la CISR prend des décisions divergentes au sujet des demandeurs d’asile.
Nadège Compaore, Re-politicizing State Sovereignty in Global Governance: A Political Economy of Transparency in the Oil Sectors of Gabon and Ghana, Queen's University, 2015
Cette dissertation apporte une contribution aux théories sur les relations internationales en jetant un éclairage sur les conceptions actuelles du rôle des États, surtout en ce qui a trait au comportement des États postcoloniaux. Se fondant sur un riche corpus tiré de recherches empiriques, cette analyse porte sur l’application stratégique de l’Initiative pour la transparence dans les industries d'extraction par trois États africains – le Ghana, le Gabon et l’Afrique du Sud. Alliant analyse de contenu et analyse critique, cette dissertation utilise plusieurs approches novatrices dans le sous-domaine tout en demeurant rigoureuse sur le plan théorique. Les conclusions de l’auteure en lien avec la souveraineté et aux ressources naturelles, ont une résonance au-delà des cas étudiés et pourraient avoir un impact sur la littérature plus vaste sur la gouvernance.
Maude Benoît, Reconfiguration de l’État et renouvellement de l’action publique agricole, Université Laval, 2015
La thèse porte un regard original, systématique et sophistiqué sur un domaine classique de l’étude des politiques publiques au Canada : l’agriculture. Grâce à la démarche comparative, l’analyse sert à expliquer l’institutionnalisation et les variations des trajectoires de politiques agroenvironnementales du Québec et de la France entre 1990 et 2013. La thèse conjugue les théories néo-institutionnelles et les apports sur les référentiels tout en mobilisant un nombre considérable de données empiriques issues d’entretiens, d’analyse documentaire et d’analyse de discours. La démonstration du rôle de filtre joué par les organisations agricoles centrales chaque pays face aux pressions pour de nouvelles politiques environnementales est très convaincant.
Articles retenus en sélection finale
Paul Nadasdy, “First Nations, Citizenship and Animals, or Why Northern Indigenous People Might Cette analyse originale et exhaustive porte sur le modèle des relations hommes-animaux proposé récemment dans Zoopolis: A Political Theory of Animal Rights de Donaldson et Kymlicka du point de vue des autochtones du Nord canadien. Combinant des études anthropologiques avec une analyse des régimes de citoyenneté qui ont émergé de revendications territoriales globales réglées et d’ententes sur l’autonomie gouvernementale, Nadasdy remet en question l’universalité, selon Donaldson et Kymlicka, de leur interprétation de la société humaine. L’auteur soutient que le libéralisme implicite de Zoopolis et ses hypothèses au sujet des assises territoriales de l’organisation politique humaine ne sont pas valides pour certaines populations autochtones du Nord. En comparant des visions du monde autochtones – notamment leur compréhension des relations entre les humains et les animaux – avec la perspective étatique libérale de Zoopolis, Nadasdy soulève des questions complexes et importantes non seulement dans le domaine de la théorie politique, mais aussi sur la place des peuples et de la pensée autochtones dans le régime canadien.
David B. MacDonald, “Do We Need Kiwi Lessons in Biculturalism? Considering the Usefulness of Aotearoa New Zealand’s Pākehā Identity in Re-Articulating Indigenous Settler Relations in Canada,” 49:4, 643-64.
Dans l’optique d’élaborer un programme en faveur de la réconciliation allant dans le sens des recommandations de la Commission de vérité et de réconciliation, David MacDonald évalue le développement d’un biculturalisme autochtone-colon en Aotearoa/Nouvelle-Zélande et les enseignements que pourrait en tirer le Canada. MacDonald fait un survol de la mobilisation des Māori et de l’amélioration de la reconnaissance et de l’inclusion de cette population autochtone, du moins sous des formes symboliques de biculturalisme. En mettant en relief l’utilisation du terme māori « Pākehā » par des colons non autochtones pour se désigner eux-mêmes, MacDonald explore la possibilité d’employer des termes analogues comme « colons », « autochtones des traités » ou Kiciwamanawak (cousins) dans le contexte canadien. Il note l’utilité d’utiliser ces marqueurs identitaires relationnels pour poser la problématique des aspects eurocentriques de l’État colonisateur. Il fait aussi état des problèmes des marqueurs identitaires qui excluent les colons non européens tout comme les problèmes inhérents à leur déploiement, y compris une inégalité continue, l’aliénation politique et la discrimination structurelle. De par les réflexions de l’auteur, l’article constitue un rappel utile qu’il ne faut pas laisser un langage ou des termes inclusifs devenir « des écrans rhétoriques pour perpétuer l’inaction » en regard des questions autochtones dans des sociétés colonisatrices.
Dietlind Stolle, Allison Harell, Stuart Soroka and Jessica Behnke, “Religious Symbols, Multiculturalism and Policy Attitudes,” 49:2, 335-58.
Cet article examine comment le soutien accordé à des politiques en faveur du multiculturalisme varie en fonction de l’origine ethnique et de la religion des groupes qui en bénéficient. Le Canada est souvent perçu comme un pays très tolérant, mais Stolle et ses collègues confirment que ce soutien est plus restreint. À l’aide d’un sondage original mené dans le cadre de l’Étude sur l’élection canadienne 2011, les auteurs évaluent l’effet de l’origine ethnique et des symboles religieux sur le soutien accordé au financement d’activités de groupes ethno-religieux et à l’accès de ces groupes à des espaces publics. En présentant aux répondants trois photos différentes – l’une montrant une femme d’origine portugaise, l’autre, une femme musulmane d’origine turque, et la dernière, une femme portant un hijab –, les auteurs démontrent que le niveau des attitudes par rapport à l’assimilation polarise l’opinion publique canadienne au sujet de l’aide financière et des services à offrir aux groupes culturellement plus éloignés. Les Canadiens sont aussi influencés dans leurs évaluations des politiques culturelles par le coût financier de ces programmes. Les résultats de cette analyse révèlent que le soutien des Canadiens à l’égard des politiques multiculturelles s’inscrit dans l’idée que ces politiques intègrent les groupes minoritaires et contribuent dans une certaine mesure à leur assimilation. Dans le contexte international actuel, cette étude clé nous amène à nous demander dans quelle mesure la société canadienne appuierait un afflux important d’immigrants ayant besoin d’un soutien financier.